Les débats

Agriculture et pêche
07/02/2012

«Débat sur la biodiversité»

M. Jean-Claude Merceron

« La biodiversité s’effondre, mais impossible de préciser le rythme du collapsus... Le désastre atteint la même intensité, la même magnitude, pourrait-on dire, que lors des extinctions majeures qui ont ponctué les ères géologiques ». Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, ces mots ne sont pas de moi, mais d’Yves Paccalet, compagnon de route du commandant Cousteau et éminent naturaliste, que nos collègues Verts connaissent bien, puisqu’il est l’un des leurs. Depuis que ces lignes ont été écrites, en 2006, le bilan n’a fait que s’alourdir : du fait des activités humaines, la Terre perdrait jusqu’à 100 000 espèces par an ! L’homme défait en une heure ce que la nature met un an à accomplir. En effet, avant lui, seules dix espèces disparaissaient en moyenne chaque année tandis que dix nouvelles apparaissaient. Ainsi, la biodiversité était constante. Nous avons bouleversé cet équilibre. Ce que nous dit Yves Paccalet est abyssal : l’homme pourrait être responsable de la quatrième grande extinction de la vie sur Terre, après, notamment, celle du Crétacé, qui raya les dinosaures de la carte du vivant. L’atteinte à la biodiversité met en cause des milliers de comportements humains, lesquels imposent une urgente et drastique correction. Permettez-moi d’évoquer le cas de mon département, la Vendée, dont les rivières sont asphyxiées par des plantes exotiques envahissantes, lesquelles, après avoir été vendues dans le commerce, sont jetées dans la nature. Mais il ne s’agit que d’un exemple concret parmi d’autres, les multiples atteintes à la biodiversité étant aujourd’hui confirmées par le rapport Halonen-Zuma remis le 30 janvier dernier au secrétaire général des Nations unies, dans la perspective du sommet Rio+20, qui se tiendra au mois de juin prochain. Ce rapport établit un constat dramatique et sans appel. Pour satisfaire l’ensemble des besoins humains, il faudrait accroître, d’ici à 2030, la production agricole de 50 % et la production d’énergie de 45 %, tout en améliorant la disponibilité en eau de 30 %. Pour l’instant, c’est impossible. Nos modèles de développement ne sont pas compatibles avec les limites naturelles de la planète. À l’échelon mondial, 85 % des stocks de poissons sont surexploités. Les océans, qui abritent 80 % de la vie terrestre, se transforment en déserts. Par ailleurs, les scientifiques estiment que 75 % des services rendus par la nature, tels la pollinisation des cultures, la filtration de l’eau, la protection contre les inondations, sont en déclin. Chaque année, 13 millions d’hectares de forêt sont détruits, mettant à mal le principal réservoir émergé de biodiversité. Toujours selon les scientifiques, trois des seuils à ne pas franchir le seraient déjà. Ils concernent le réchauffement climatique, la perturbation du cycle de l’azote et l’atteinte à la biodiversité. Si le danger paraît avéré, il est extrêmement mal connu, c’est d’ailleurs tout son paradoxe. Le péril est là, nous le savons. Il pourrait remettre en cause jusqu’à la survie même du genre humain, mais il avance masqué, et ce pour une raison très simple : nous n’avons qu’une idée très approximative de l’étendue de la biodiversité. Combien la Terre abrite-t-elle d’espèces vivantes ? « Entre 20 milliards et 50 milliards » répondent les spécialistes. La fourchette est large ! Sur ces dizaines de milliards d’espèces, moins de deux millions ont été répertoriées… Tout se passe comme si l’on prétendait connaître l’univers après avoir marché sur la Lune. Nous ne pouvons pas mesurer l’impact des activités humaines sur le vivant. Nous ne connaissons même pas précisément tous les maillons de l’écosystème dont nous dépendons. Et si nous en venions à détruire, par notre inconséquence, l’un des chaînons essentiels à notre existence ? C’est là que réside le risque le plus immédiat pour nous. La catastrophe et ses conséquences possibles sont d’une telle ampleur qu’un débat aussi absurde que dramatique traverse aujourd’hui la communauté scientifique. Il s’agit de savoir qui doit être sauvé. L’homme a provoqué le déluge et tente de réinventer l’arche de Noé. Alors qu’on ne sait même pas qui peuple la Terre, il nous faut choisir qui survivra, le panda ou le ver de terre, l’ours blanc ou l’abeille, le tigre ou l’eider à duvet. Pour effectuer ce grand tri macabre, deux considérations, parfois antagonistes, sont avancées : le facteur affectif et le service écologique rendu. Le facteur affectif permet de mobiliser des fonds et des bonnes volontés pour sauver des espèces qui bénéficient d’un important capital de sympathie. Il profite notamment au panda. Mais quelle est l’utilité du panda en termes d’écosystème, toutes les espèces ne se valant pas de ce point de vue ? Sur un plan utilitariste, il peut paraître plus urgent de sauver le ver de terre. Voilà donc où nous en sommes ! Face à cette chronique d’une catastrophe non pas annoncée, mais en cours de réalisation, je formulerai deux questions. La première s’adresse à nos collègues Verts et la seconde au Gouvernement. À nos collègues Verts, j’ai envie de demander les raisons pour lesquelles ils taisent ce que je viens de rappeler. J’ai en effet le sentiment que le discours écologiste dans son ensemble s’empare du problème par le petit bout de la lorgnette, en prenant la défense de telle ou telle mare aux canards, ce qui culpabilise les individus, sans que l’urgence de la situation globale soit mise en relief. Au Gouvernement, je demanderai : que fait la France ? A-t-on pris la mesure du problème ? Va-t-on rester les bras croisés ? Ne peut-on pas participer à un grand plan transnational d’inventaire du vivant et de notre écosystème ? Ne peut-on se faire, à Rio de Janeiro, les hérauts d’une politique de défense réelle du vivant, qui prendrait en compte les recommandations du rapport Halonen-Zuma ? Pour ma part, je crois que les considérations économiques et financières ont fait passer au second plan ces questions essentielles. La France a perdu le triple A, qui est important, mais elle peut espérer le retrouver. Un écosystème détruit est, lui, perdu à jamais. Je crois surtout que, sans biodiversité, il n’y aura plus jamais de triple A ni quoi que ce soit d’autre. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)