Les débats

Droit et réglementations
Gérard Roche 07/02/2012

«Débat sur le rapport annuel du contrôle de l՚application des lois»

M. Gérard Roche

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à défaut d’endiguer l’inflation normative dont souffre le droit français, il convient, pour le moins, de s’assurer de l’exécution des textes votés. Au début de l’année 2008, le Premier ministre a appelé son gouvernement à veiller à la mise en application des lois, avec l’objectif de parvenir à prendre toutes les mesures réglementaires requises dans les six mois suivant leur publication. En mars dernier, l’exécutif a d’ailleurs mis en place une structure administrative adéquate, le Comité de suivi d’application des lois. Comme on n’est jamais trop prudent, je salue l’initiative prise par le bureau du Sénat, qui a créé, en novembre dernier, une commission pour le contrôle de l’application des lois : venant renforcer l’action du Gouvernement, celle-ci s’inscrit pleinement dans la mission de contrôle de l’exécutif qui nous incombe, dans la droite ligne de la réforme constitutionnelle de 2008. Le rapport annuel pour la session ordinaire 2010–2011, que cette commission a publié, est, à ce sujet, éloquent. Il contient une avalanche de chiffres et de statistiques sur les mesures législatives totalement, partiellement ou pas du tout mises en œuvre par voie réglementaire. On y apprend que, pour la dernière session ordinaire, « seulement » 48 lois ont été votées, appelant toutefois la mise en application de 540 mesures réglementaires. Avant de juger de la bonne application des lois, je me pose une question toute simple : l’adage selon lequel « nul n’est censé ignorer la loi » a-t-il encore un sens ? Faut-il saluer ou, au contraire, déplorer la quantité de mesures que nous, parlementaires, avons fait adopter en une session ordinaire ? Nos concitoyens, qui critiquent la sur-réglementation en France, n’auraient-ils pas raison ? La politique du chiffre et la surenchère de mesures ne sont-elles pas finalement des leurres ? À mon sens, nous devrions nous concentrer sur la qualité et la nécessité de ces lois, avant de nous féliciter de notre surproduction législative, qui engendre des dommages collatéraux sur les conditions d’examen des textes et sur la qualité de leur application. Pour entrer dans le vif du sujet de l’application même des mesures législatives, je souhaite mentionner deux sujets principaux. D’une part, la commission, dans son rapport, se borne à une approche quantitative. Elle ne traite pas de la différence, du point de vue de l’urgence et de la portée, d’une mesure réglementaire par rapport à une autre. L’étude n’est ni analytique ni qualitative. À l’évidence, la parution des décrets mettant en œuvre la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche ou la réforme des retraites a une portée sans commune mesure avec celle des décrets obligeant, en 2015, chaque habitation à disposer d’un détecteur de fumée. Mais je ne doute pas que la commission sénatoriale créée à cet effet saura, dans ses prochains rapports, étayer son analyse et hiérarchiser les priorités de l’exécution des mesures législatives en fonction des contingences économiques et sociétales. Comme nous débattrons des gaz de schiste tout à l’heure, je profite de cette intervention pour souligner que la mise en œuvre de la Commission nationale d’orientation, de suivi et d’évaluation des techniques d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures liquides et gazeux est relativement urgente. Le retard constaté en la matière est dommageable quand on sait l’importance de la question énergétique dans le débat politique actuel et le coût économique de nos importations d’hydrocarbures. Toutefois, l’étude qualitative de l’application des lois n’est pas l’apanage de la seule commission pour le contrôle de l’application des lois. Elle doit être le souci de toutes les commissions permanentes, commissions spéciales, commissions d’enquête, groupes d’études, et surtout et peut-être avant tout le souci de chaque sénateur quand il retourne dans son territoire. Nous disposons d’ailleurs de plusieurs instruments de contrôle pour faire remonter les difficultés d’application concrète de ces 540 mesures que nous avons votées en un an et que le Gouvernement s’est engagé à exécuter. D’autre part, je trouve extrêmement intéressant que le rapport mette l’accent sur le nombre insuffisant de rapports déposés par le Gouvernement au Parlement. Au cours de cette législature, seuls 67 des 331 rapports dont le dépôt était prescrit par une mesure législative ont effectivement été déposés, soit seulement 20 %. Ainsi le Parlement attend-il depuis dix ans la transmission d’un rapport sur l’incidence d’insecticides sur les abeilles. Je cite cet exemple, monsieur le ministre, car il m’a paru particulièrement piquant ! (Sourires. – Mme Corinne Bouchoux applaudit.) Avant de critiquer la mauvaise application de la loi par le Gouvernement, je m’interroge sur la formulation presque systématique d’une demande de rapport lors de l’examen d’un projet ou d’une proposition de loi, souvent par voie d’amendement parlementaire. A-t-on bien mesuré l’efficience de ces rapports, commissions et comités de suivi que l’on institue dans la loi ? Je comprends que l’obtention d’un rapport puisse constituer une consolation pour qui n’obtient pas du Gouvernement l’adoption d’une mesure structurelle, mais il me semble que notre philosophie de législateurs doit nous inciter à revenir à une conception plus pure de la loi, une loi qui prescrit ou interdit, et non une loi qui demande au Gouvernement un complément d’information. C’est d’autant plus vrai que nous disposons en interne, en tant que sénateurs, d’une administration très compétente. Nous pouvons ainsi demander des rapports d’information et mener des investigations sur des sujets très divers. Nous disposons, en outre, d’une grande latitude pour questionner le Gouvernement sur l’application des lois, par le biais des débats, des questions orales, des questions cribles et des questions écrites. Il faut donc nous interroger sur la pertinence de ces demandes quasiment systématiques de rapports au Gouvernement dans le cadre de la loi. Il me semble en effet que nous, parlementaires, sommes coresponsables de la carence des rapports gouvernementaux. Permettez-moi de conclure en citant le président de la commission de l’économie, Daniel Raoul, qui m’a précédé à cette tribune : « En tout état de cause, voilà qui nous engage à éviter de multiplier, dans les textes, les demandes de rapports ! » (Applaudissements sur les travées de l’UCR, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Claude Dilain applaudit également.)