Les débats

Affaires étrangères et coopération
13/01/2015

«Autorisation de prolongation de l՚intervention des forces armées en Irak»

M. Aymeri de Montesquiou 

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, nous fûmes totalement pris par surprise. Comment près de 200 000 kilomètres carrés d’Irak et de Syrie ont-ils pu être conquis en quelques semaines ? Comment Mossoul, deuxième ville d’Irak, avec 3 millions d’habitants, a-t-elle pu être prise en quelques heures ? D’où est issue cette force motorisée, comment toute cette logistique a-t-elle pu être mise en place ? Certes, il y a eu des prises de guerre au détriment des armées syriennes et irakiennes, mais personne n’imaginait une telle montée en puissance. La carence des services de renseignement occidentaux est vraiment stupéfiante, et très alarmante.
Nous fûmes donc contraints de déclencher l’opération Chammal dans l’urgence. Notre réaction fut émotionnelle et improvisée. Maintenant, nous devons nous engager dans une action réfléchie, en coordonnant tous les adversaires de Daech autour d’un seul objectif : le détruire. Oui, il faut détruire Daech, pour des raisons humanitaires, afin de protéger les populations locales, faire cesser les massacres abominables de milliers de chrétiens, de yazidis, de sunnites modérés et de chiites, faire cesser les viols et le commerce de petites filles. Il faut détruire Daech, pour des raisons de sécurité intérieure. Combien de Kouachi, combien de Coulibaly sont présents sur notre sol, équipés de kalachnikov, de RPG ou d’explosifs par des cellules dormantes, prêts à exécuter des policiers, des juifs, des journalistes ? Nous n’en savons rien. On évalue entre 1 000 et 1 500 le nombre de djihadistes français de Daech. Ils sont sans doute plus, selon les Kurdes qui les affrontent. En effet, on peut se rendre en Irak et en Syrie par avion et être repéré, mais aussi en voiture, en train ou en bateau sans l’être. Mes chers collègues, on ne peut être que très alarmé par un sondage, même indicatif, selon lequel 25 % des 18-25 ans éprouveraient de la sympathie pour Daech. Mes chers collègues, 25 %... ! Daech a su s’adapter aux frappes aériennes en se mêlant à la population des villes et des villages. Il est donc absolument impossible de l’éradiquer sans forces au sol. Quelles sont les forces au sol qui peuvent être mises en œuvre ? On a constaté à Mossoul la piètre qualité de l’armée irakienne. On ne peut pas compter sur les forces des pays du Golfe et de l’Arabie saoudite : non seulement elles sont peu importantes, mais, en outre, comme elles sont composées de sunnites, elles ne se battront pas contre d’autres sunnites aux côtés de chiites. Les États-Unis ne veulent que positionner des forces spéciales et acheminer des équipements lourds pour les peshmergas, car le président Obama craint trop l’enlisement et ne rééditera pas les erreurs commises en Afghanistan ou la désastreuse campagne d’Irak. Les forces britanniques, qui se sont épuisées sur ces mêmes théâtres d’opérations, ne peuvent ni ne veulent envoyer de troupes au sol. Quant à la France, les opérations extérieures absorbent la quasi-totalité de nos forces disponibles et, même si nous le voulions, il nous serait impossible de faire plus que l’envoi de quelques conseillers et de forces spéciales. Pour éliminer Daech, nous devons remettre en cause un certain nombre d’a priori et ne pas oublier la responsabilité de ceux de notre camp qui ont contribué à sa genèse. Quelles sont les forces qui peuvent se battre au sol ? Les Kurdes. Nous fournissons des armes lourdes et des conseillers aux Kurdes d’Irak, les peshmergas. Ils sont en phase de reconquête de leur territoire. Cependant, comme ils sont en état de paix depuis 2003, ils ont, hormis la garde présidentielle, perdu une partie de leur efficacité. Sous la poussée de Daech, après la prise de Mossoul, Erbil aurait pu et même dû tomber. C’est la garde présidentielle du président Barzani, appuyée par le PKK et renforcée par les armes lourdes iraniennes et les frappes américaines, qui a brisé l’offensive. Ce sont ces combattants qui ont évité, avec leur branche syrienne du PYD, que Kobané ne soit prise. Le PKK est la force la plus efficace sur le terrain, mais nous ne coopérons avec lui que de façon occulte, car il est considéré comme une organisation terroriste. En effet, depuis trente ans, un conflit très meurtrier l’oppose au gouvernement turc. Ce conflit a fait près de 45 000 victimes – des soldats turcs et des membres du PKK –, mais aussi provoqué la destruction de 4 000 villages kurdes. Le terrible danger que représente Daech et notre objectif d’efficacité doivent amener notre diplomatie à œuvrer pour que les négociations de paix qui se déroulent entre le PKK et la Turquie aboutissent. Nous devons aussi convaincre la Turquie de participer activement, ne serait-ce qu’en raison de sa longue frontière avec les théâtres d’opérations. Ce sont là des éléments majeurs pour venir à bout de Daech. Ayons en mémoire, pour contribuer à sortir le PKK de la liste des organisations terroristes, que la frontière entre résistants et terroristes s’efface souvent dans le temps. Rappelons-nous que l’Israélien Menahem Begin et le Palestinien Yasser Arafat, d’abord considérés comme des terroristes et pourchassés en tant que tels, reçurent tous deux le prix Nobel de la paix ! Les peshmergas, le PKK et le PYD ont stoppé l’offensive de Daech, mais ils ne sont pas en mesure de reconquérir les 200 000 kilomètres carrés qu’il contrôle. La seule force capable de le faire, c’est l’Iran. L’Iran lutte en Syrie contre l’armée islamique par l’intermédiaire du Hezbollah. Il effectue des frappes aériennes en Irak et approvisionne les milices chiites en armes. Les pasdarans sont présents en nombre ; la mort d’un de leurs généraux démontre l’importance de leur engagement. Nous avons hérité de relations exécrables avec l’Iran, en partie pour des raisons valables, mais aussi pour des raisons moins convaincantes : elles ont surtout pour origine la révolution islamique de 1979. Faire la guerre pour la gagner, c’est porter au plus haut le pragmatisme. Pour éradiquer Daech, quelle autre solution qu’une coordination avec l’Iran ? Une telle coordination sera certainement difficile, car elle représentera un véritable aggiornamento pour notre diplomatie. Ajoutons-y le très sensible dossier nucléaire. Cependant, cette coordination serait pragmatique et courageuse. Elle incarnerait à nouveau la capacité de notre diplomatie à s’émanciper qu’ont démontrée en leur temps le général de Gaulle, en reconnaissant la Chine, en 1962, en pleine guerre du Vietnam, et le président Chirac, en refusant de participer à la guerre contre l’Irak, en 2003. Faisons preuve d’autonomie. Quel est notre poids dans la coalition ? Participons-nous aux décisions ? Notre contribution militaire, fortement symbolique, n’est aujourd’hui que mineure, mais nous pouvons jouer demain un rôle politique majeur par notre action diplomatique. Dans notre action pour coordonner les acteurs, nous devons introduire aussi la Russie et la Turquie dans le débat. Nous devons avoir la volonté d’engager des négociations avec l’Iran, puissance régionale incontournable avec laquelle nous entretenions des liens privilégiés. Nous devons l’inciter et l’aider à trouver sa place dans le débat international ; cela permettrait en outre d’améliorer le respect des droits civiques à l’intérieur du pays.