Les débats

Affaires étrangères et coopération
17/01/2012

«Débat sur l՚état des négociations internationales climatiques et les conclusions de la conférence de Durban»

M. Marcel Deneux, membre du groupe de travail « Négociations internationales – Climat et environnement »

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la lutte contre le changement climatique est un véritable défi de la communauté internationale. Elle repose sur deux piliers essentiels : la réduction des émissions de gaz à effet de serre et l’adaptation aux impacts du changement climatique. Elle a des répercussions dans de très nombreuses disciplines – économie, droit, environnement, finance, technologie, gouvernance – et, en définitive, de plus en plus d’influence sur notre vie quotidienne. Malgré les efforts accomplis depuis l’entrée en vigueur du protocole de Kyoto en 2005, les modifications du climat s’accélèrent et les prévisions des scientifiques sont alarmantes. Nos émissions de gaz à effet de serre, qui provoquent le réchauffement de la planète, sont plus importantes que prévu, et celles des pays à fort développement vont inexorablement croître, dans des proportions bien supérieures à celles, par exemple, des efforts de sobriété de l’Union européenne. La conférence de Durban visait à gérer la question de « l’après-Kyoto », les effets contraignants du protocole s’achevant le 31 décembre prochain. Les commentaires sur les résultats obtenus à Durban ont été très divers. Il est vrai qu’il a fallu attendre l’extrême fin de la conférence pour arracher un minimum d’engagements. Je considère pour ma part que les résultats ne sont pas nuls. En effet, hormis le Japon, la Russie et le Canada, tous les pays – 195 au total –, y compris la Chine, l’Inde et les États-Unis, se sont ralliés à la feuille de route défendue par l’Union européenne. En la matière, il faut souligner le travail préalable remarquable des diplomates européens et, pour la France en particulier, celui de l’ambassadeur Serge Lepeltier, mais aussi, bien sûr, l’impulsion, déterminante dans les échéances finales, que vous avez donnée, madame la ministre. Les résultats du sommet ne sont pas enthousiasmants pour autant. Au final, l’accord a permis, d’une part, de prolonger jusqu’en 2017 les effets du protocole de Kyoto et, d’autre part, de fixer un nouveau cadre pour l’adoption en 2015 d’un accord global avec effet à l’horizon 2020, cela dans une formulation évidemment non contraignante, ce qui signifie que les différentes dates butoirs qui avaient été fixées précédemment sont repoussées de cinq ou sept ans… L’accord ne s’accompagne pas d’une hausse du niveau d’ambition des pays pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Les engagements annoncés ne permettront donc pas de contenir le réchauffement de la planète sous le seuil de 2 degrés d’ici à 2100, ce qui est d’autant plus certain que, selon les projections actuelles, il devrait s’établir dans une fourchette de 3,5 à 5 degrés. Après Durban, le fonds vert reste une coquille vide. Aucun engagement financier n’a été pris pour assurer son abondement, et la crise mondiale de la dette ne rend pas optimiste quant à la mobilisation internationale sur ce sujet. Ce mécanisme demeure pourtant essentiel pour avancer. Ces conclusions doivent conduire à plusieurs types de réflexions. À titre liminaire, je souhaite rappeler que les ambitieux efforts de l’Union européenne pour diminuer les rejets de gaz à effet de serre pourront vraisemblablement, s’ils sont maintenus, limiter l’étendue du réchauffement climatique, lequel reste toutefois inéluctable. La France et l’Europe ont, avec des instruments juridiques contraignants, comme le Grenelle et le plan climat-énergie en perspective, mis en place une politique énergétique tournée vers les énergies renouvelables et la sobriété énergétique. Cependant, l’Europe ne peut pas, à elle seule, contenir le réchauffement climatique. C’est d’autant plus vrai que l’objectif de limitation du réchauffement à 2 degrés est maintenant dépassé puisqu’il sera probablement d’environ 3 degrés. Ainsi devrions-nous réduire non pas de 20 % mais de 30 % nos émissions par rapport à 1990. L’Europe semble faire cavalier seul sur ce chemin vertueux, alors qu’elle n’est responsable que de 11 % des émissions de gaz à effet de serre. Pour autant, elle doit continuer, voire renforcer sa politique environnementaliste, ne serait-ce que pour l’exemplarité, en termes de politique publique, et pour les effets de celle-ci sur les comportements des sociétés. Au niveau international, les négociations sur le climat peuvent être ressenties par certains comme un « caprice de riches », coûteux et incompatible avec la croissance économique. D’autres ne les inscrivent pas dans leurs préoccupations prioritaires et elles sont, aux yeux de nombreux dirigeants, déconnectées des enjeux de politique interne. Sur la question du climat, la communauté internationale joue donc prudemment un jeu de poker menteur entre l’affichage de bonnes intentions et l’inertie en matière d’actions capables d’enrayer le processus du changement climatique. Il est temps de faire avancer un projet de gouvernance mondiale et de créer un lieu où parler enfin de tous les problèmes de développement, ce qui permettra de démontrer à quel point il est nécessaire que les solutions proposées soient complémentaires. On relève néanmoins dans beaucoup de politiques nationales des progrès remarquables en matière de pollution. Il ne faut pas faire du climat une cause perdue, mais il faut porter une nouvelle approche sur la scène internationale. Le changement climatique est une réalité qui concerne tous les pays. En outre, la limitation du rejet des gaz à effet de serre est aussi une opportunité économique. En effet, la révolution des énergies renouvelables créera plus d’emplois qu’elle n’en détruira dans les filières que l’on va progressivement remplacer. Je citerai, à titre d’exemples, le chantier de 10 milliards d’euros de l’éolien offshore en France, avec les milliers d’emplois qu’il représente, les évolutions en cours dans la filière automobile et tout ce qui commence à être fait en matière de remise aux normes des bâtiments. Ce sont là autant de chantiers qui, démultipliés à l’échelle internationale, permettront de substituer des énergies non polluantes aux énergies émettrices de gaz à effet de serre. Pour cela, il faut être en mesure de « vendre » l’économie verte comme un levier de croissance mondiale, un business auquel les grands groupes auraient intérêt à participer. De même, sur le volet de la recherche et du développement, le changement climatique rend nécessaire le développement de l’ingénierie agronomique afin d’adapter les semis et les cultures aux caprices de la nouvelle donne climatique, comme la biodiversité s’adapte elle-même à celle-ci. Sur le volet humain, enfin, il me semble indispensable que les négociations internationales consacrées au climat traitent de la situation des réfugiés climatiques. Le chiffrage à l’horizon 2050 diffère selon les organisations. Selon l’Organisation des Nations Unies, 50 millions, puis 150 millions de personnes seraient concernées. Bref, selon l’ampleur des variations, ce sont certainement des centaines de millions de personnes qui vont être touchées. Les causes principales et « classiques » des déplacements sont l’avancée du désert, la déforestation, la salinisation des sols et les inondations, auxquelles s’ajoutent l’assèchement des lacs, les tempêtes violentes auxquelles sont soumises certaines zones, l’érosion ou encore la montée du niveau des océans, qui touchera directement les archipels et, à plus long terme, les 650 millions de personnes qui habitent dans des zones situées à moins de dix mètres au-dessus du niveau de la mer. Certaines des 118 îles de la Polynésie française sont ainsi menacées de disparition, comme l’ont rappelé des scientifiques de plusieurs pays lors de l’ouverture du colloque sur l’aménagement du littoral face au changement climatique, le 11 décembre dernier, à Tahiti. En marge des actions pour tenter de limiter le phénomène direct du réchauffement climatique, il nous faudra donc mettre aussi en place des outils juridiques internationaux afin de remédier à ses conséquences humaines, notamment au phénomène des réfugiés climatiques. Ces outils pourront prendre des formes diverses : ajout d’un protocole à la convention de Genève, convention ad hoc ou conventions bilatérales entre zones menacées et terres d’accueil, telle qu’il en existe entre l’archipel polynésien de Tuvalu et la Nouvelle-Zélande. Entre prise en compte des effets directs du changement climatique et promotion du développement durable, qui suppose une approche environnementaliste de l’économie et, réciproquement, une approche économique de la protection de l’environnement, la France et l’Union européenne doivent adopter une nouvelle façon d’aborder la question du climat : il s’agit d’amener la communauté internationale à voir la politique mise en œuvre dans ce domaine comme une opportunité plutôt que comme un arsenal de contraintes. Bien sûr, nous traversons une crise économique, mais, pour autant, le climat n’arrête pas de se réchauffer. Ces deux points essentiels doivent guider toute notre action politique, qui tiendra compte des différentes échelles de temps. Cessons de vivre à crédit sur le plan financier : nos enfants nous en seront reconnaissants ! Cessons de vivre à crédit face au réchauffement climatique : nos petits-enfants chanteront nos louanges ! (Applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.)