Les interventions en séance

Droit et réglementations
04/05/2010

«Projet de loi tendant à permettre le recours au vote par voie électronique lors des élections des membres de conseils des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel»

M. Jean-Léonce Dupont : rapporteur de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous sommes aujourd’hui saisis, qui a été adoptée par l’Assemblée nationale le 28 septembre 2009, a un objet bien circonscrit : faire sauter le verrou législatif interdisant à un établissement d’enseignement supérieur d’organiser l’élection des membres de ses conseils internes en ayant recours au vote par voie électronique. En effet, le sixième alinéa de l’article L. 719-1 du code de l’éducation interdit le vote par correspondance. Or le vote à distance par voie électronique est assimilé à un vote par correspondance.
Pourtant, on observe un recours croissant au vote électronique par Internet, plusieurs lois l’ayant autorisé, dans le cadre strictement fixé par la CNIL, la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Je pense, par exemple, à l’élection des membres de l’Assemblée des Français de l’étranger, à l’élection des conseillers prud’homaux à Paris en 2008 ou à celle des délégués du personnel ou des délégués au comité d’entreprise.
À cet égard, j’ai examiné l’expérimentation conduite par la SNCF à l’occasion de l’élection en mars 2009 des délégués du personnel, qui a concerné 22 000 électeurs. L’entreprise a mis en œuvre des mesures de nature à garantir la fiabilité du système informatique retenu et la confidentialité des votes. Le bilan de cette expérimentation paraît très positif : 75 % des électeurs ayant répondu à l’enquête de satisfaction se sont déclarés satisfaits.
Alors que les établissements d’enseignement supérieur accueillent à la fois les chercheurs les plus pointus et les plus fervents adeptes des nouvelles technologies, à savoir 2,2 millions d’étudiants, dont 1,2 million au sein des universités, n’est-il pas paradoxal qu’il leur soit aujourd’hui impossible d’organiser un scrutin par voie électronique à distance ? Cela est d’autant plus regrettable que le taux de participation aux élections universitaires est parfois très faible. Si, en moyenne, il atteint 75 % pour les enseignants-chercheurs, par exemple, il n’est en revanche que de 15 % pour les étudiants, ce taux ne dépassant quasiment jamais 22 % et pouvant même descendre jusqu’à 6 %.
En outre, le mode de vote actuel emporte des obstacles matériels qui empêchent certains électeurs de participer à l’élection parce qu’ils ne peuvent être présents ce jour-là, qu’ils effectuent un stage, qu’ils soient handicapés ou simplement malades. Or l’enjeu démocratique s’est accru avec le renforcement des missions et de l’autonomie des universités, ainsi qu’avec la nouvelle gouvernance, prévus par la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités.
Je rappelle que les universités comptent trois conseils centraux : le conseil d’administration, le conseil scientifique et le conseil des études et de la vie universitaire. Ces conseils constituent, avec le président, les instances de gouvernance de l’établissement. Il est donc essentiel que leurs membres soient pleinement représentatifs des personnels et des usagers. C’est pourquoi tout doit être mis en œuvre afin d’encourager et de faciliter l’exercice du droit de vote des différents acteurs concernés.
Tel est l’objet de la présente proposition de loi : offrir aux établissements d’enseignement supérieur le choix – j’insiste sur ce point – des modalités de vote, soit sur support papier, soit par voie électronique sécurisée. Dans le premier cas, le vote par procuration sera possible. Dans le second cas, d’une part, les opérations de vote devront être conduites dans le respect de la loi relative aux fichiers, à l’informatique et aux libertés et, d’autre part, l’établissement devra mettre à la disposition des électeurs des ordinateurs dans des lieux dédiés aux opérations électorales.
Mes chers collègues, je vous propose d’adopter ce dispositif sans modification, les quelques avis favorables exprimés ce matin par la commission sur certains amendements résultant d’un concours de circonstances que j’évoquerai plus longuement tout à l’heure.
En réalité, les réticences exprimées par les détracteurs d’un tel dispositif demeurent d’ordre politique, voire culturel, le vote électronique semblant à certains moins transparent qu’une urne, car moins visible.
À titre de comparaison, on pourrait évoquer le commerce en ligne, qui, voilà quelques années, peinait à séduire les internautes. Je crois qu’il en sera de même pour le vote électronique. C’est pourquoi l’idée est de le rendre facultatif, sachant, n’en doutons pas, qu’il fera tache d’huile. Osons donc l’expérimentation et offrons aux universités la possibilité de bénéficier des technologies les plus récentes !
Le taux d’équipement en ordinateurs et le nombre de personnes ayant accès à Internet sont aujourd’hui tels que l’on ne peut parler de fracture numérique s’agissant des personnels universitaires. Quant à ceux qui s’inquiètent du fait que tous les étudiants ne disposent pas d’un ordinateur personnel, qu’ils soient rassurés : l’établissement a l’obligation de mettre à disposition des ordinateurs pour les opérations électorales.
En outre, le taux d’équipement progresse d’année en année, y compris chez les jeunes – Mme la ministre l’a souligné –, comme le montre une étude du CREDOC. La dernière enquête du ministère de la culture et de la communication sur les pratiques culturelles des Français montre également que 75 % des étudiants utilisent Internet tous les jours ou presque.
Enfin, le vote par Internet devrait permettre une meilleure authentification des électeurs.
Je ne dis pas que le vote par voie électronique constitue l’alpha et l’oméga de la démocratie universitaire, mais je pense qu’il sera un moyen concret d’améliorer la participation électorale. Cela étant, je suis convaincu que son succès et son efficacité dépendront de plusieurs facteurs.
En premier lieu, il conviendra de respecter les préconisations de la CNIL et de créer les conditions de la confiance et de la transparence.
À cet égard, je rappelle que le texte proposé fait clairement référence à la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. Dans ce cadre, il faudra prendre toutes les mesures techniques permettant de supprimer les risques susceptibles de peser sur la sincérité du vote par Internet.
S’il semble aujourd’hui difficile de garantir cette sécurité pour un vote électronique à grande échelle, notamment pour une élection politique nationale, une telle sécurisation est possible à l’échelle envisagée, c’est-à-dire à petite ou à moyenne échelle.
Une grande majorité des interlocuteurs que j’ai auditionnés, à l’exception de l’un des syndicats étudiants, l’UNEF – l’Union nationale des étudiants de France –, se sont montrés ouverts à la faculté ainsi offerte aux établissements de moderniser leurs modalités de vote. Tous ont néanmoins exprimé certaines inquiétudes. Les mesures adoptées devront donc être de nature à les rassurer. Il sera ainsi nécessaire de trouver un équilibre entre des exigences en matière de sécurité qui peuvent parfois paraître antagonistes, comme l’authentification des électeurs et le secret du vote.
Comme la CNIL l’a indiqué, il est nécessaire de maintenir une « chaîne de confiance » entre l’acte de vote individuel et le dépouillement, en garantissant paradoxalement à la fois l’authenticité du votant et l’impossibilité de lier l’identité du votant au vote qu’il a émis. Je vous renvoie à mon rapport écrit pour le détail des recommandations que la CNIL a formulées en 2003 et que les universités devront bien entendu respecter.
En second lieu, il conviendra de créer un environnement incitant les intéressés à s’impliquer dans la vie de leur établissement. Cela passe d’abord par une bonne information des électeurs sur les enjeux des scrutins. Sans une réelle volonté politique des équipes de direction des universités d’améliorer l’information des électeurs, notamment des étudiants, sur les enjeux des scrutins, on ne peut que craindre une faible évolution de la participation électorale. Or toutes les parties ont à gagner à une meilleure implication de l’ensemble des catégories d’acteurs dans la vie de l’établissement.
Je suis convaincu, comme tous les interlocuteurs que j’ai auditionnés, qu’un accroissement du taux de participation aux élections universitaires suppose, de la part des établissements, des mesures concrètes en vue d’accompagner et d’encourager la campagne électorale.
Enfin, le comité électoral consultatif, qui a été mis en place dans toutes les universités en application de l’article 2-1 du décret du 18 janvier 1985, doit être consulté sur l’organisation des élections, en veillant à ce que toutes les listes présentes y soient représentées.
En conclusion, je vous demande, madame la ministre, de sensibiliser les équipes dirigeantes des universités à l’importance des mesures qui doivent accompagner la mise en œuvre du texte. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)