Les interventions en séance

Affaires sociales
04/05/2010

«Proposition de loi visant à garantir de justes conditions de rémunération aux salariés concernés par une procédure de reclassement»

M. Nicolas About

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, une proposition de reclassement en Inde à 69 euros par mois, des offres de reclassement en Tunisie assorties d’une rémunération de 137 euros mensuels : il est inutile de s’étendre plus longuement sur les chiffres, ils ont déjà amplement été rappelés. Le constat est sans appel, que chacun partage sur ces travées : le droit du reclassement doit être réformé. C’est, en effet, directement de l’état du droit en vigueur que découle cette situation. On imagine bien la révolte des salariés qui reçoivent de telles offres, leur incompréhension, le sentiment d’injustice, et même d’humiliation, qui peut être le leur. Mais il convient de sortir du manichéisme simpliste consistant à présenter l’employeur comme un être sans foi ni loi. Les entreprises qui ont présenté des offres indignes étaient tenues de le faire. C’est ce qui ressort des textes et de la jurisprudence. Paradoxalement, l’émulation entre le juge et le législateur, supposée mieux protéger les salariés, a abouti à l’effet contraire. Au départ, l’obligation mondiale et inconditionnelle de reclassement a été imposée par la Cour de cassation pour protéger les cadres. Le législateur en a fait un outil de sanction indirecte des entreprises recourant aux délocalisations, au service de tous les salariés. À ce stade de l’analyse, un mea culpa s’impose : le dispositif que nous, législateur, avons adopté en 2002 pour répondre, dans l’urgence, à la recrudescence des licenciements économiques, s’est révélé porteur d’effets pervers. Ces effets ont été encore accentués par la jurisprudence récente, puisque la cour d’appel de Reims vient de condamner une entreprise à verser de très lourdes indemnités à des salariés licenciés, notamment pour avoir omis de leur proposer des emplois de reclassement en Roumanie à 110 euros par mois... Dans ces conditions, une intervention législative s’impose. C’est pour répondre à cette nécessité que notre excellent collègue député Philippe Folliot, mon ami le président François Sauvadet et les membres du groupe Nouveau Centre ont déposé le présent texte. Face à cette proposition de loi, je partage à 100 % la remarquable analyse de notre rapporteur, Jean-Marie Vanlerenberghe : en son état actuel, ce texte représente incontestablement un progrès, mais il est perfectible. Oui, ce texte représente un progrès, et même un double progrès. Premier progrès, la proposition de loi impose que le reclassement du salarié soit assorti d’une « rémunération équivalente ». Il s’agit, d’une part, de sanctuariser un niveau de rémunération et, d’autre part, de dispenser les employeurs de proposer des offres manifestement inacceptables pour les salariés. En pratique, cela devrait substantiellement borner le champ de l’obligation mondiale et inconditionnelle de reclassement. Second progrès, cette proposition de loi légalise la procédure du questionnaire préalable pour les offres de reclassement à l’étranger. Cette méthode, imaginée par certaines entreprises, a été consacrée par les juridictions administratives, mais non par les juridictions judiciaires. Ce texte tend également à assurer une garantie minimale que des propositions indécentes ne seront plus faites à mauvais escient. Cependant, comme l’a très bien fait observer Jean-Marie Vanlerenberghe, ce texte est encore perfectible. Je ne reviendrai pas sur les imprécisions de la rédaction actuelle et sur la question de la liquidation judiciaire : nous avons déposé des amendements destinés à y remédier. Je me concentrerai sur la principale lacune du texte en débat, celle qui tient au niveau de la rémunération garantie. Primo – mais est-ce une erreur ? –, la rédaction actuelle laisse subsister la possibilité qu’un salarié soit reclassé dans un emploi de même catégorie que le sien, mais sans bénéficier d’une « rémunération équivalente ». Nous proposerons un amendement visant à garantir que l’obligation de « rémunération équivalente » s’impose dans tous les cas de reclassement. Secundo, le texte ne prévoit aucun plancher salarial légal s’appliquant aux offres. Comme le démontrait M. le rapporteur, il suffira que le salarié donne son accord de principe pour recevoir des propositions moins bien rémunérées pour que l’employeur soit toujours légalement obligé de lui faire parvenir la totalité des offres disponibles, dont les plus infamantes. Autrement dit, et ce serait un comble, la proposition de loi ne mettrait pas fin à la situation contestée. C’est pourquoi nous défendrons un amendement en vertu duquel l’employeur n’aurait plus ni l’obligation ni le droit d’adresser au salarié des offres de reclassement à l’étranger dont la rémunération serait inférieure au SMIC. Néanmoins, le salarié aurait toujours le droit, s’il le demandait lui-même par écrit à l’employeur, de recevoir des offres à l’étranger inférieures au SMIC, de manière à ne pas priver de possibilité de reclassement des salariés expatriés en France qui seraient prêts à retourner dans leur pays, même au prix d’une plus faible rémunération. En conclusion, si nous nous félicitons que ce texte soit soumis à la Haute Assemblée, nous regrettons que les modifications qu’avait proposées notre rapporteur n’aient pas été adoptées par la commission des affaires sociales. Nous espérons qu’elles le seront en séance avec nos amendements, auxquels la commission a donné cet après-midi un avis favorable. Cela étant, je vous ai entendu, monsieur le ministre : vous comptez sur un vote conforme. Mais légiférer vite n’impose pas forcément de légiférer mal ! Nous avons déjà commis cette erreur en 2002. Elle nous a directement conduits à la situation actuelle, nous obligeant à remettre l’ouvrage sur le métier. Faut-il recommencer ? Monsieur le ministre, est-il impossible de trouver dans les semaines à venir une petite heure à l’Assemblée nationale pour valider très vite les modifications que nous pourrions adopter ce soir ? Tâchons de concilier urgence et qualité législative. Nous le devons aux salariés qui se sont sentis bafoués du fait de nos approximations. À défaut d’un engagement de votre part, monsieur le ministre, de représenter devant l’Assemblée nationale ce texte avant l’été, le groupe de l’Union centriste en prendra acte et ne s’opposera pas à la rédaction de l’Assemblée nationale, qui promet de beaux jours au contentieux ! (Applaudissements au banc de la commission.)