Les interventions en séance

Affaires sociales
06/05/2010

«Projet de loi autorisant l՚approbation de l՚accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Roumanie relatif à la protection des mineurs roumains»

M. Nicolas About

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le plus souvent, l’approbation d’une convention internationale par le Parlement ne pose pas de problème et s’apparente à une formalité. Mais, en l’occurrence, tel n’est pas le cas. Ne tournons pas autour du pot : le nœud du problème réside dans la substitution du parquet au juge du siège pour la mise à exécution des demandes de raccompagnement des mineurs roumains émanant des autorités de leur pays d’origine. Ne passe-t-on pas d’une logique de protection de l’enfance à une pure logique de lutte contre l’immigration clandestine ? Le traitement réservé aux enfants roumains isolés en France s’inscrirait, par ce biais, dans le cadre d’une politique volontariste de reconduite à la frontière. D’un autre côté, depuis l’arrivée à échéance du précédent accord, signé en 2002, la coopération franco-roumaine en la matière est abandonnée, ce qui est très dommageable, je le reconnais, compte tenu de l’ampleur du phénomène considéré et de la nécessité de renvoyer ces jeunes au sein de leur famille, en les arrachant au plus vite des mains des réseaux maffieux. La question est donc la suivante : la reprise au plus vite de cette coopération, dans l’intérêt des enfants roumains et de nos bonnes relations avec la Roumanie, doit-elle primer sur le respect des principes fondamentaux qui semblent heurtés par l’article 4 de l’accord ? À moins, monsieur le secrétaire d’État, que la rédaction qui nous est soumise ne réponde après tout à ces deux préoccupations. Devant une telle question éthique, mettant en jeu l’intime conviction et la conscience de chacun, la politique du groupe de l’Union centriste a toujours été la même : la liberté de vote. C’est pourquoi certains membres de mon groupe voteront l’approbation de l’accord, contrairement à d’autres. Je me bornerai à présenter les raisons, tout à fait légitimes, des uns et des autres. Pour justifier l’approbation de l’accord, on peut se rallier à l’argument central de notre rapporteur, à savoir la nécessité d’adopter un texte dont la ratification se fait attendre depuis trois ans, d’autant que, en pratique, le juge des enfants sera très vraisemblablement amené à intervenir dans la procédure et à autoriser le raccompagnement des mineurs concernés. J’insisterai sur deux points connexes fondamentaux. Si des mineurs étrangers isolés sont présents sur notre sol, c’est parce que des réseaux se sont chargés, peu ou prou, de les y amener. Si retour de ces mineurs il y a, encore faut-il que, sur place, on les aide à réellement se réinsérer. En d’autres termes, cet accord n’a de portée que si on l’envisage dans sa globalité, en tenant compte de l’amont et de l’aval. En amont, cette convention n’a de sens que si les gouvernements se sont dotés d’un outil, le groupe de liaison opérationnel, qui renforce vraiment la lutte contre les réseaux. Ces réseaux, au demeurant multiformes, bénéficient trop souvent de la complaisance de certaines autorités, à l’échelon local ou au-delà. S’ils alimentent bien évidemment le marché de la prostitution, ils sont aussi présents dans bien d’autres domaines, jouant alors de la complaisance de certains mêmes de nos concitoyens : une jeune fille roumaine faisant le trottoir choquera les habitants d’un quartier, mais certains d’entre eux n’hésiteront pas à embaucher une de ses compatriotes pour en faire une employée de maison payée au noir... Un jeune homme provoquera l’exaspération en commettant de petits délits, mais il exaspérera certainement moins celui qui le chargera d’exécuter en parfaite illégalité des travaux saisonniers dans son exploitation... (Mme Alima Boumediene-Thiery approuve.) Renforcer la lutte contre ces réseaux est donc à mes yeux un impératif majeur, un devoir impérieux, car il ne servirait à rien de s’interroger sur la reconduite de ces enfants si, tous les jours, de nouvelles victimes arrivaient sur notre sol, d’autant que les ressortissants roumains bénéficient de la libre circulation des personnes au sein de l’Union européenne. En aval, c’est-à-dire après le retour des mineurs dans leur pays d’origine, se pose la question de la réinsertion. À cet égard, la Roumanie revient de loin. Il y a vingt ans encore, les structures d’accueil, héritées de l’ère Ceaucescu, ressemblaient davantage à des bagnes qu’à des maisons de l’enfance. Il faut reconnaître que d’indéniables progrès ont été réalisés, même si, en ce domaine comme en tant d’autres, la bonne volonté se heurte aux contingences financières. Puisqu’il s’agit de coopération, celle-ci ne pourrait-elle pas s’étoffer aussi dans le domaine de la réinsertion sur place des jeunes revenus au pays ? La Roumanie n’a pas besoin que de nos seules incantations, elle peut aussi avoir besoin de notre aide, de notre expertise. Telles sont les raisons d’approuver cette convention. D’un autre côté, il est bien évident que la substitution du parquet au juge des enfants n’est pas innocente. C’est une logique d’efficacité qui est recherchée. Si le procureur travaillait de la même manière que le juge, cela se saurait ! Encore une fois, je me référerai à notre rapporteur, Mme Garriaud-Maylam, mais en l’occurrence pour justifier l’opposition au texte de certains d’entre nous. Les réserves qu’elle a émises sur l’accord me semblent frappées au coin du bon sens. Elles rejoignent d’ailleurs celles qui ont été exprimées par la Défenseure des enfants, Dominique Versini. Je me bornerai donc à citer cette phrase du rapport, qui résume bien nos doutes : « ni l’ampleur actuelle du phénomène des mineurs roumains, ni l’efficacité d’un retour non consenti dans un espace de libre circulation ne permettraient de justifier de déroger au principe de l’intervention du juge des enfants ». Voilà pourquoi, mes chers collègues, certains membres du groupe de l’Union centriste ne voteront pas ce texte. Je souhaite que, dans sa sagesse légendaire, le Sénat fasse tout à l’heure le bon choix. (Sourires.)