Les propositions de loi

Affaires étrangères et coopération
12/02/2014

«Proposition de loi relative à l՚accueil et à la prise en charge des mineurs isolés étrangers»

M. Jean Arthuis, auteur de la proposition de loi

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, c’est parce que j’ai acquis la conviction que nous n’assumons pas notre responsabilité face aux arrivées de plus en plus nombreuses de mineurs isolés étrangers que j’ai déposé cette proposition de loi relative à leur accueil. Nous ne pouvons pas plus longtemps nous donner bonne conscience en laissant aux seuls départements le soin d’accueillir tous ces jeunes immigrants ! Le rapporteur, René Vandierendonck, nous rappelle que le phénomène des mineurs isolés étrangers est apparu à la fin des années quatre-vingt-dix. Depuis lors, il n’a cessé de prendre de l’ampleur, pour atteindre aujourd’hui des niveaux que l’on peut qualifier d’alarmants. En dépit des rapports successifs – celui du préfet Bertrand Landrieu en 2003, celui des inspecteurs de l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, en 2005, celui de notre collègue Isabelle Debré, au mois de mai 2010 –, aucune mesure concrète n’a été mise en œuvre. Aussi, les services de l’aide sociale à l’enfance, gérés par les conseils généraux, ont dû faire face à des arrivées de plus en plus nombreuses. Dans certains départements, la concentration est telle que les capacités d’accueil sont saturées et les missions éducatives menacées. C’est dans ce contexte que plusieurs présidents de conseil général ont pris des arrêtés tendant à suspendre l’accueil des mineurs isolés étrangers au sein des structures dont ils ont la charge. Mesures pathétiques, signaux d’alarme, appels au secours. L’État et l’Assemblée des départements de France – l’ADF – ont signé, le 31 mai 2013, un protocole destiné à corriger les disparités observées, en la matière, entre les conseils généraux. Le département où le jeune mineur s’est présenté est tenu d’évaluer sa minorité et son état d’isolement. Il peut bénéficier à ce titre d’un remboursement forfaitaire de l’État de 250 euros par jour dans la limite de cinq jours. Si le jeune est reconnu mineur, il est confié à l’aide sociale à l’enfance, éventuellement dans un autre département choisi sur la base d’un « dispositif d’orientation national » répartissant, entre les départements, les mineurs isolés étrangers pris en charge. Cette mesure surprend par son inhumanité ! Comment peut-on justifier de semblables méthodes, exclusives des critères linguistiques, faisant fi des capacités d’accueil et des moyens éducatifs ? Je m’étonne, madame la garde des sceaux, que vous ayez pu valider un tel dispositif, qui opère une sordide péréquation géographique, comme si l’accueil d’un flux de plus en plus important de mineurs isolés étrangers était une fatalité. C’est aussi parce que j’exerce les fonctions de président de conseil général, en Mayenne, que j’ai cru devoir prendre l’initiative de cette proposition de loi. Ce sont les services de l’aide sociale à l’enfance de mon département qui m’ont alerté. Le protocole du 31 mai a eu l’effet d’un accélérateur. Au cours des seuls mois de juin et de juillet suivants, nous avons soudainement accueilli autant de mineurs isolés étrangers que durant les douze mois précédents. Or, en vérité, la plupart de ces jeunes sont majeurs. L’authenticité des certificats de naissance ne peut être vérifiée et les examens médicaux dans un centre agréé font l’objet de rendez-vous fixés au-delà d’un mois d’attente. Au demeurant, ces examens sont peu probants. Comment tenir le délai de cinq jours, alors que les rendez-vous sont fixés à de telles échéances ? De surcroît, les réponses formulées par ces jeunes sont codifiées, selon des éléments de langage convenus, ce qui accrédite le rôle des filières organisées : « Mes parents ont été emprisonnés, mes grands frères m’ont hébergé mais ils n’ont malmené. Je me suis réfugié chez un voisin. Ce dernier réalisant des affaires commerciales avec la France m’a proposé un jour de m’y emmener. À notre arrivée à Paris, il m’a abandonné dans un café, me privant de mes papiers. Quelqu’un, rencontré au hasard, m’a suggéré de me rendre à Laval, en Mayenne. » Il s’agit, à n’en pas douter, d’un département attractif !Ce récit est répété à l’envi par des jeunes originaires d’Afrique subsaharienne. Des éléments de langage sont déterminés à leur intention par des passeurs.
À l’exaspération des travailleurs sociaux, qui ne sont pas préparés à accomplir ces missions d’identification et d’évaluation, s’ajoutent de nombreux problèmes de compréhension et d’interprétariat. Et je ne parle même pas de la cohabitation, particulièrement difficile dans les foyers, entre ces adultes immigrants et les jeunes, souvent en bas âge, issus de familles locales dont les juges ont considéré qu’elles n’étaient pas aptes à assurer leur sécurité et leur éducation.
Madame la garde des sceaux, dans un premier temps, j’ai constaté que les magistrats ne prenaient pas en compte votre circulaire résultant du protocole du 31 mai, et qu’ils étaient aidés en cela par des associations telles que France terre d’asile, implantée localement, notamment en Mayenne. Au mois de septembre, j’ai eu le privilège d’accueillir dans mon département les responsables de la cellule nationale de coordination pilotée par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, la PJJ. À cette occasion, on m’a indiqué que de nombreuses demandes étaient écartées en région parisienne. Las, aucune trace de ces refus n’est conservée. Un mineur isolé étranger écarté en Seine-Saint-Denis peut ainsi tenter sa chance dans tous les autres départements ! Nous sommes évidemment en présence de filières. Notre devoir est de réagir. À cet égard, puis-je rappeler que le Comité des droits de l’enfant des Nations unies a recommandé à la France, au mois de juin 2009, d’intensifier sa lutte contre la traite des enfants, organisée notamment à des fins d’exploitation sexuelle ? Est-ce la tâche de l’État ou celle des services de l’aide sociale à l’enfance dispersés sur le territoire national ? Au surplus, comment évaluer l’âge de ces jeunes ? J’ai donné instruction à mes services de faire appel des décisions de placement depuis l’été 2013. Sur dix cas, deux minorités seulement ont été confirmées en appel. Les huit autres dossiers ont été rejetés. Par ailleurs, l’évaluation des flux reste incertaine. Lors de l’établissement du protocole, les flux d’entrée sur le territoire national étaient évalués à 1 500 personnes. Selon le rapport de la commission des lois, ce chiffre était estimé, au mois de janvier dernier, à 4 020 mineurs isolés étrangers en année pleine. Je gage que leur nombre est, dans les faits, sensiblement supérieur. Ensuite, que deviennent ces jeunes lorsqu’ils quittent les services de l’aide sociale à l’enfance ? J’ai pu le vérifier dans mon département : dans presque tous les cas, faute d’obtenir des services de l’État leur régularisation, ils demandent l’asile. Leur requête est en général rejetée, et ils disparaissent aussitôt dans la clandestinité. Au bout du compte, notre législation protégeant l’enfance et la famille sert de vecteur à une immigration clandestine. Quant au dispositif de péréquation nationale des mineurs isolés étrangers, il fait justice de la fiction selon laquelle l’accueil de ces jeunes peut être une responsabilité purement locale.
      Dès lors, soyons conséquents et confions à l’État la responsabilité de l’accueil des mineurs isolés étrangers.
Tel est l’objet de la présente proposition de loi. En premier lieu, nous proposons de rétablir l’État dans ses responsabilités. Comme l’ont suggéré tous les rapports consacrés à cette question, il lui revient d’organiser, à l’échelon régional ou interrégional selon l’importance des besoins locaux, l’accueil et l’examen des dossiers de tous les mineurs isolés étrangers, qu’ils aient été repérés – par les services de police, par les maraudes d’associations, etc. – ou qu’ils se soient présentés d’eux-mêmes aux services de l’aide sociale à l’enfance ou à une association. Bien sûr, ce dispositif ne s’appliquerait pas à l’ensemble des jeunes étrangers, comme le craignait le rapporteur. Les mineurs qui sont sous la garde de leurs parents n’ont nul besoin d’être recueillis par l’aide sociale à l’enfance et placés conséquemment en centre d’accueil pour que l’on évalue leur minorité et leur isolement. La présente proposition de loi n’indique rien de tel ! Dans les faits, ce dispositif devrait assurer l’hébergement des jeunes se présentant comme mineurs isolés étrangers. Surtout, grâce au concours des services compétents de l’État, il devrait permettre de mobiliser tous les moyens nécessaires pour établir l’identité de ces jeunes ; pour examiner l’authenticité des documents qu’ils présentent, lorsqu’ils en présentent ; pour vérifier leur état de minorité et d’isolement ; et pour procéder à un bilan complet de leur situation et leur proposer soit un retour dans leur famille ou leur pays d’origine, soit une aide en vue de définir un projet personnel. En agissant ainsi, l’État se donnerait sans doute les moyens d’identifier les filières en cause pour mieux les éradiquer. Les résultats de cette évaluation seraient transmis au juge des enfants. En deuxième lieu, l’État devrait assumer la prise en charge financière des mineurs isolés étrangers confiés par décision de justice, à l’issue de la phase d’évaluation, à l’aide sociale à l’enfance ou à une structure privée compétente – habilitée ou agréée. De fait, il est plus digne de recourir à la solidarité nationale que d’organiser la répartition de ces mineurs sur tout le territoire pour tenter d’équilibrer les charges indûment et inégalement supportées par les seuls départements. Madame la garde des sceaux, il est accablant de voir un taxi partir avec un mineur à son bord, vers un département qui lui a été arbitrairement attribué comme lieu d’installation ! Des pratiques de ce type ne sont pas conformes à notre idéal humaniste.
Enfin, en troisième lieu, il convient de compléter ce dispositif en créant un fichier national des mineurs isolés étrangers accueillis sur notre territoire.
Mes chers collègues, la commission estime qu’un fichier biométrique n’est pas nécessaire pour assurer la protection de ces mineurs. Je ne suis pas de cet avis. Comme l’a souligné la Commission européenne, les fréquentes disparitions de jeunes revêtent un caractère très préoccupant. Ces derniers sont sous la protection des autorités nationales et, lorsqu’ils fuguent, ils sont en situation de grand danger. Le respect de nos obligations internationales impose donc que nous soyons en mesure de les rechercher, et de les identifier s’ils sont repérés ou interpellés après avoir fugué. Bien sûr, nous proposons un gage. Le rapport de la commission relève que le présent texte implique un transfert de compétences et doit, en conséquence, comprendre un mécanisme de compensation financière au sens de l’article 72-2 de la Constitution. C’est exact, et l’exposé des motifs en fait d’ailleurs état.
Toutefois, les règles de recevabilité formelle des propositions de loi exigeaient de sacrifier au rite du gage.
Au reste, vous connaissez mon opinion personnelle sur l’article 40 de la Constitution : lors de la dernière révision constitutionnelle, je vous ai proposé de le supprimer, en vue de responsabiliser le Parlement ! Il n’est pas question de caricaturer notre démarche en disant : « Puisque cette attribution coûte cher aux départements, il suffit de la transférer à l’État : les conseils généraux feront ainsi des économies ! » Il est clair que, si l’État assure l’accueil et la prise en charge de ces mineurs, les dépenses que les départements assument aujourd’hui à ce titre seront compensées à l’État. La commission estime qu’il faut prendre le temps de la réflexion parce que l’on attend un rapport pour le 15 avril, parce que le comité de suivi des mises en œuvre du dispositif national ne s’est encore réuni que deux fois, parce qu’un nouveau projet de loi relatif à la décentralisation est en préparation. Que de motifs, que de prétextes pour ajourner une nouvelle fois la décision ! De son côté, le Gouvernement fourbit sans doute tranquillement l’arme absolue de l’article 40…
Pendant ce temps, et depuis l’été dernier, s’applique un protocole qui est bien loin de répondre aux exigences de la Convention internationale des droits de l’enfant et à celles du Comité des droits de l’enfant de l’ONU, en matière de protection des mineurs isolés. Ce texte bouscule les compétences des juges des enfants et ne résout pas pour autant les problèmes auxquels les départements sont confrontés. Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, tout nouvel ajournement serait un signe accablant d’esquive face au devoir de gouverner. L’accueil et la prise en charge des mineurs isolés étrangers ne peuvent en aucune façon se résumer à une simple péréquation territoriale. Je garde l’espoir que nous progressions aujourd’hui, enfin. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)