Les interventions en séance

Droit et réglementations
24/06/2010

«Proposition de loi sur le recours collectif»

M. Pierre Fauchon

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le thème que nous abordons aujourd’hui nous intéresse vivement. Au-delà de la question de l’introduction du recours collectif, la protection des consommateurs a en effet toujours été au cœur de nos préoccupations, et ceux qui savent que j’ai présidé l’Institut national de la consommation – bien peu d’ailleurs, de 1978 à 1982 seulement – se doutent que c’est pour moi une question tout à fait importante : à cette époque-là déjà, j’avais milité pour que ce recours soit créé. J’ai donc dès le début soutenu notre commission des lois quand elle a pris l’initiative de mettre en place un groupe de travail chargé d’étudier l’opportunité et les conditions de l’introduction du recours collectif en droit français. J’en profite pour saluer ici l’excellent travail réalisé par nos non moins excellents collègues Laurent Béteille et Richard Yung : il marque un premier pas, important et constructif. Ce travail est d’autant plus constructif qu’il fait le point de l’ensemble des questions posées et ne se contente pas d’en rester au niveau des généralités. Il propose pour chacune d’elles une réponse, exposée tout à l’heure par M. Béteille, qui à tout le moins est crédible et paraît raisonnable, et ce à travers vingt-sept recommandations. Il y a donc là un excellent travail, d’autant plus excellent qu’il est présenté par un binôme composé de deux sénateurs appartenant l’un à la majorité, l’autre, hélas ! à l’opposition. Mais enfin, il faut de tout pour faire un monde ! (Sourires.) La liberté de parole me permet de dire « hélas ! », monsieur le président ! Et j’ai ajouté : « il faut de tout pour faire un monde ! » Je partage l’opinion de M. le secrétaire d’État sur la possibilité de mettre en œuvre, dans ces hypothèses, les procédures de médiation. L’idée est judicieuse. Je suis de ceux qui croient beaucoup à la médiation et je constate, semestre après semestre, le développement de cette nouvelle approche des procédures. Je trouve qu’elle présente beaucoup d’avantages et que nous sommes effectivement dans un domaine où il faut la favoriser le plus possible. L’action de groupe peut jouer un rôle vertueux de régulateur, en particulier lorsque des produits comportent naturellement de ces petites malfaçons qui créent pour les utilisateurs des dommages sans doute limités mais, comme on dit communément, extrêmement embêtants, et c’est la situation la plus courante dans le domaine des biens de consommation. Si un bien de consommation présente un gros défaut, il disparaît assez rapidement du marché. Le problème des biens de consommation, ce sont les petits défauts, qui n’apparaissent pas à tous les coups, que l’on supporte mais dont on souffre, non sans susciter parfois un mécontentement certain ! Je dois dire que l’hostilité du MEDEF à l’action de groupe est tristement significative de l’état des réflexions de cet organisme professionnel. Paradoxalement, cela met en évidence, me semble-t-il, la nécessité de mettre en place une telle procédure dans notre droit, car elle conduira à un changement d’esprit et de comportement de la part des entreprises. Je vous en donnerai un seul exemple. Lorsque j’étais directeur de l’Institut national de la consommation, nous avons décelé une anomalie sur les moteurs diesel d’un des grands constructeurs d’automobiles - nous ne pouvons pas, en principe, citer de marques en séance publique, mais enfin, elles sont peu nombreuses en l’occurrence... Ces moteurs rendaient l’âme au bout de cinquante mille kilomètres, alors qu’un diesel dure habituellement beaucoup plus longtemps que les autres moteurs. Nous avons dénoncé la situation à René Monory, alors ministre. Convoqué au cabinet du ministre, je me suis trouvé en tête-à-tête avec le directeur de l’entreprise en question, qui m’a alors dit : « Rendez-vous compte, c’est fou. Nous en avons vendu cinquante à des chauffeurs de taxi de Tunis et vous allez bloquer notre marché ». Je lui ai répondu : « Monsieur, c’est vous qui êtes fou ! Lorsque les chauffeurs de taxi de Tunis s’apercevront que leurs moteurs ne vont pas au-delà de cinquante mille kilomètres, votre marque sera rayée de leurs acquisitions, et pas pendant un an ou deux, mais pour des années et des années. C’est en réalité vous qui avez une très mauvaise appréciation de vos propres intérêts ». Et, s’il vous plaît, que l’on renonce à soutenir que l’action de groupe constitue un handicap pour l’activité économique. N’en abusez pas non plus, monsieur le secrétaire d’État, même si vous avez autour de vous des gens qui vous demandent de le dire, car c’est là une idée fausse. (M. le secrétaire d’État s’exclame.) C’est une idée fausse ! Voyez l’économie américaine, voyez l’économie allemande ! Ce sont les économies les plus vigoureuses. Or, les actions de groupe sont connues dans l’un et l’autre pays. On dit même qu’elles sont tout à fait excessives en Amérique. Or, apparemment, la production américaine se porte plutôt mieux que la nôtre ! Je ne vois donc pas le rapport. De telles allégations sont artificieuses et ne correspondent pas au véritable intérêt de notre économie, qui ne peut survivre dans la mondialisation que par la meilleure performance et par l’excellence de ses produits. Ce n’est pas en faisant des produits médiocres que nous entrerons en concurrence avec ce qui se fait en Extrême-Orient ou en Amérique du Sud. C’est là une erreur qu’il ne faut pas entretenir. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.) Rappelons, en outre, que cette action devrait permettre, précisément dans le contexte de la mondialisation, de lutter contre les produits « bas de gamme », peu performants et quelquefois dangereux pour le consommateur, en valorisant, à l’inverse, les produits fiables et de bonne qualité. Il n’y a pas d’autre avenir pour notre production à coûts relativement élevés que de jouer la carte de la qualité. Il n’y a pas d’autre solution, il faut en prendre conscience ! J’avoue que, sur ce point, monsieur le secrétaire d’État, - je me permets de vous le dire avec toute la considération et l’amitié que j’ai pour vous - les craintes que vous exprimez ne me paraissent pas fondées sur un réel danger. Enfin, d’un point de vue plus général, il serait bien évidemment souhaitable que l’action de groupe fasse l’objet d’une législation communautaire. Comme nous ne parviendrons jamais à cela à vingt-sept, je me permets de vous suggérer de recourir, dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, à la formule de la coopération renforcée. Vous le savez peut-être, je suis de ceux qui plaident depuis un an ou deux, dans différentes publications, pour que l’on se rende enfin compte que l’Europe à vingt-sept ne fait rien, et que l’Europe ne fait des choses qu’à quelques-uns. Alors, il ne faut pas hésiter, même à quelques-uns, parce que l’on peut en attendre une exemplarité qui entraînera les autres. En fin de compte, même si la démarche des rapporteurs du groupe de travail de la commission des lois reste prudente, l’essentiel est de commencer en mettant quelque chose en place. Ainsi, la traduction des recommandations issues du rapport sous forme d’une proposition de loi, suivie de son inscription à l’ordre du jour du Sénat, constituerait un très bon signal politique. Je remercie M. Béteille de l’engagement pris sur ce point à l’instant. Pour l’heure, la proposition de loi du groupe socialiste inscrite à l’ordre du jour de notre assemblée s’éloigne des choix du groupe de travail. Sans revenir sur l’analyse qui en a été faite, il faudrait, me semble-t-il, la revoir très sérieusement. Je crois qu’il est logique, comme la commission le propose, d’attendre qu’une proposition de loi soit déposée sur la base des travaux du groupe, en intégrant éventuellement les éléments utilisables de la proposition de loi de nos amis socialistes. Je soutiendrai, nous soutiendrons la position défendue par la majorité de la commission des lois, qui est de procéder dans les prochains mois – je l’ai bien noté, monsieur le rapporteur - à l’élaboration d’une proposition de loi cohérente et opérante, sur la base de ces recommandations. Je demande seulement que le processus se déroule rapidement. Aussi, non sans regret, madame Bricq, mon groupe ne soutiendra pas la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui. Mais ce n’est que reculer pour mieux sauter ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Qu’on se le dise, monsieur le secrétaire d’État, non seulement dans votre maison, mais aussi place Vendôme, où l’on nous amuse, où l’on a le culot de nous amuser, devrais-je dire si j’osais, en s’inquiétant d’une prétendue précipitation, argument qui serait, lui aussi, très artificieux s’il était sérieusement invoqué, ce que je ne veux pas croire ! (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)